num 107

L'édito du n° 107


La bonne conscience

Peut-on valoriser le patrimoine en programmant sa dégradation ? Ainsi posée et de prime abord, la question peut sembler saugrenue ou provocatrice pour nos adhérents et pour la plupart de nos lecteurs. Un professeur de philosophie y verrait, quant à lui, un excellent sujet de dissertation au baccalauréat et inviterait ses élèves à puiser dans ce numéro une partie des arguments leur permettant de répondre à l’énoncé. Nos élus, eux, hausseraient sans doute les épaules, voire le ton, et useraient de la langue de bois pour expliquer de façon péremptoire que la question est fort mal posée. Pour eux, l’intérêt général, dont ils ont la charge, se doit de répondre avant tout aux intérêts particuliers de leurs administrés qui, étant aussi leurs électeurs, peuvent les sanctionner s’ils ne répondent pas à leurs attentes. Aussi est-il plus simple de les autoriser à transgresser la règle établie pour valoriser leur patrimoine plutôt que d’affronter leur courroux si cette transgression ne leur était pas permise. 


A quoi bon, dans ce cas, établir une règle ? Pour se donner bonne conscience, à l’évidence. L’aire de valorisation de l’architecture et du patrimoine (AVAP) prétend tracer une voie vertueuse sans laquelle le label Ville d’art et d’histoire n’aurait plus aucun sens. Tout un chacun est invité à la suivre ou à emprunter un des chemins de traverse lui garantissant l’indulgence plénière s’il contribue à dégrader le patrimoine au lieu de le valoriser. La vertu est, il est vrai, un art difficile - comme en témoignent notre couverture et notre contribution à l’enquête publique sur l’AVAP - où la bonne conscience sans volonté politique forte ne suffit pas.


Il en va de même face à l’urgence écologique et climatique. D’où la lettre ouverte de l’association Châlons Initiatives 21 aux élus de l’agglomération et aux participants du forum Planet A. Sa contribution, fort (im)pertinente, vise à leur faire prendre conscience de l’urgence d’une agriculture durable sur notre territoire, qui constitue l’archétype de l’agriculture intensive, pour lutter contre le réchauffement climatique et préserver la biodiversité. Cette contribution tend, en définitive, à reformuler le questionnement ouvrant cet éditorial : peut-on sauver la biodiversité en perpétuant sa dégradation ? 


Répondre positivement à ce double questionnement serait faire preuve d’une grande inconscience. Mais répondre négativement pour se donner bonne conscience ne suffit pas. Il y a urgence à agir pour notre patrimoine et pour notre biodiversité.


Sabine Schepens               Bruno Malthet

rédactrice en chef             président de l’association


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