L'édito du n° 113
Que d'arbres, que d'arbres !
« Que d’eau, que d’eau ! », se serait exclamé le maréchal de Mac-Mahon, Président de la République, à Toulouse le 26 juin 1875 à la vue des inondations catastrophiques qui ravageaient alors tout le pays. « Que d’arbres, que d’arbres ! » serait-on tenté de répliquer à la lecture de ce numéro du Petit Catalaunien Illustré.
Des arbres, il en est effectivement question avec notre Châlonnais célèbre, Alexis Guillemot. Il sortit de l’oubli des « Contes, légendes et vieilles coutumes de la Marne », qu’il publia en 1908. Sa mort en 1914 nous priva de son tome 2 où aurait probablement figuré le récit que nous publions. Il porte sur la coutume à Bisseuil de planter 25 arbres fruitiers pour pouvoir y prendre femme. Un autre récit inédit de Guillemot chante « Le petit sapin de Champagne » qui fertilisa la Champagne pouilleuse. Pendant 200 ans, il capta le carbone que le défrichage massif de l’après guerre libéra dans l’atmosphère lors de sa combustion, contribuant ainsi au réchauffement climatique, pour laisser place à une agriculture intensive.
D’arbres, il n’en est pas question dans notre évocation du sinistre 21 janvier 1871, dernier épisode marquant, à Châlons, de la guerre de 1870-1871, sauf à évoquer le bois des cercueils ouverts auprès desquels quatre victimes civiles innocentes furent exécutées par les Prussiens après un simulacre de procès. Vingt ans plus tard, quand le patriotisme et l’envie de revanche taraudaient la France et embrasaient la République, on leur érigea un mausolée côtoyant le monument aux morts de 1870-1871 du cimetière de l’Ouest.
Mais ces arbres reviennent en force dans le sujet suivant portant sur la requalification de l’îlot Notre-Dame. Le Fil du Mau nous en annonçait la plantation de plus de 120. Lors du « facebook live » de présentation du projet, l’adjointe au maire en charge du Centre-ville, évoqua le chiffre de 150. L’arbre, hier banni de la requalification de la place de la République et condamné à végéter dans ces pots en plastique rose-bonbon défigurant nos rues, revient en force. Le petit sapin de Champagne cher à Guillemot va laisser place au pin sylvestre qu’affectionnent tant les chenilles processionnaires. Ce projet donnera une âme nouvelle à Châlons, une âme aussi verte que circassienne, promet la municipalité. À l’en croire, il serait aussi enchanteur que la forêt de Brocéliande et mettrait en valeur ce joyau qu’est Notre-Dame-en-Vaux. Mais, hélas, la restauration de cette « ruine au bois dormant » attendra encore de longues années.
Le grand verdissement, qu’évoquent nos amis d’Initiatives 21 dans ce numéro, touchera dans les prochaines années toute la ville. 26 000 arbres doivent y être plantés pour permettre d’atteindre, nous dit-on, la neutralité carbone. L’objectif se veut vertueux mais, parce qu’il met tous ses œufs dans le même panier, il sera insuffisant pour y parvenir. Le gaz carbonique n’est qu’un de ceux responsables de l’effet de serre qui menace la planète. Plutôt que de parler et de tabler uniquement sur la neutralité carbone, il nous faut avancer et tabler, comme nos voisins européens, sur la neutralité climatique, ce qui changera radicalement la façon d’agir. Y-a-t-il une réelle prise de conscience de nos dirigeants sur ce sujet ? C’est ce à quoi tend le collectif de « L’affaire du siècle » que nous soutenons.
La crise sanitaire et économique générée par la Covid 19 ne doit surtout pas être un prétexte pour baisser les bras en matière climatique. Sauver le climat n’est pas qu’une affaire d’arbres, mais de changement de paradigme. Le temps en est venu si on ne veut pas voir dérailler le train de l’Histoire et sombrer dans l’abîme.
Sabine Schepens, rédactrice en chef
Bruno Malthet, président de l’association