L'édito du n° 85-86
La campagne de France vue de Châlons
Octave Beuve publie en 1914 « L’invasion de 1814-1815 en Champagne ». Ce sont des souvenirs inédits qui, s’agissant de Châlons, ont été écrits par l’abbé Virguin en 1817-1818. Il précise les avoir rédigés « avec une timide circonspection et entièrement exempt de toute chaleur d’opinion ». Mais, nous précise Octave Beuve, « il écrit en royaliste, en adversaire résolu de l’Usurpateur» qui considère que « les portes de Châlons [...] devaient s’ouvrir toutes grandes et à la première réquisition devant les trop fameux fourgons de l’étranger ramenant les Bourbons chéris. »
Pour autant, la contribution de Virguin est précieuse pour comprendre les événements qui se produisent à Châlons pendant la campagne de France. Octave Beuve l’a complétée de notes qu’il a tirées de deux autres documents. Le premier, conservé à la bibliothèque, est le récit des « Principaux faits relatifs à l’occupation de la ville par les États coalisés en 1814-1815 ». Il est de la main de Claude Garinet, maire provisoire de Châlons en 1814. Le second est un registre, conservé aux archives de la ville, ayant servi à inscrire les décisions prises par la municipalité en 1814.
Un troisième document, non cité par Octave Beuve, permet lui aussi d’avoir une vision de l’intérieur de cette période particulièrement difficile pour les Châlonnais. Ce sont les « Souvenirs d’un demi-siècle racontés par un grand-père à son petit-fils », écrits par Léandre Salle en 1858. En 1814, l’intéressé a 15 ans et parcourt les rues de Châlons pour aider son père, officier de santé, à soulager les souffrances de ses contemporains. Il raconte « ce qui se passait dans nos rues et dans nos maisons, pendant que les destinées de la France se jouaient sur les champs de bataille ».
A l’heure où nous commémorons le bicentenaire de la Campagne de France, tous ces matériaux nous permettent de comprendre l’envers du décor. Celui que vécurent et dont souffrirent nos ancêtres chez qui, en l’espace de deux mois, les cris de «Vive le Roi ! » ont succédé à ceux de «Vive l’Empereur ! ». Ils n’étaient pas pour autant devenus soudainement royalistes, comme feint de le croire l’abbé Virguin. Loin s’en faut ! Ils avaient seulement été rattrapés par le principe de réalité dans lequel les plongèrent la chute de l’Empire et le retour des Bourbon après 25 ans d’exil.
Tel est l’objet de ce numéro spécial qui, en partant de ces matériaux, laisse le soin aux plumes de l’abbé Virguin, Claude Garinet et Léandre Salle de replacer la campagne de France dans son contexte châlonnais. Leurs regards croisés, confrontés à d’autres sources, contribuent au devoir de mémoire que la communication autour du bicentenaire de la campagne de France n’est pas toujours à même d’exhumer et de valoriser.
Sabine Schepens
rédactrice en chef