num 95

L'édito du n° 95


Vers un été chaud ? 

Venu ratifier à Châlons le mariage de son fils, le grand dauphin, Louis XIV passa au jard en mars 1680. L’hiver touchait à sa fin et, semble-t-il, la Marne lui fit la grâce de rester dans son lit. Le Roi-Soleil put ainsi pleinement admirer cette promenade qu’un chroniqueur de l’événement décrit comme étant d’une très grande beauté, ajoutant même que peu de lieux publics en France sont plus agréables.


Le jard, à cette époque, ne ressemblait pas encore à celui que nous connaissons aujourd’hui. Il fut dessiné près d’un siècle plus tard par Colluel, remanié au lendemain de la guerre de 1870-1871 pour donner naissance au petit jard et, malgré la protection dont ce site classé bénéficie depuis 1929, éventré après la seconde guerre mondiale pour ouvrir l’avenue du maréchal Leclerc. 


Pour autant, jusqu’à nos jours, les municipalités successives se sont toujours attachées à conserver son authenticité au grand jard, un ADN qui depuis toujours en fait la promenade préférée des Châlonnais. Aujourd’hui, sous le fallacieux prétexte que le grand jard serait déserté par les Châlonnais – une réalité que l’on observe uniquement les jours de pluie – la municipalité actuelle, soucieuse qu’ils en fassent meilleur usage, entend le requalifier. 


Requalifier, dites-vous ? C’est-à-dire ? ça signifie lui donner une autre qualification, pardi ! Assimiler le grand jard à un lieu de promenade est on ne peut plus ringard, parait-il. Le monde a changé et la municipalité veut supprimé cet héritage du passé, faire du neuf avec du vieux et transformer ce site classé en parc d’attraction, un cirque permanent avec des gradins creusés dans les talus des bassins.


D’où une débauche d’aménagements ludiques et sportifs qui envahissait les bassins et les allées du grand jard lorsque, voici un an, nous avons mis notre nez dans ce dossier. D’où aussi l’action que nous avons menée auprès de Ségolène Royal, ministre de tutelle des sites classés. Elle a commencé à porter ses fruits et les aménagements ont été réduits. Pour autant, ces modifications sont mineures au regard des profondes altérations voulues par cette requalification. Chaque bassin, que la municipalité s’obstine à vouloir requalifier en boulingrin, dénomination qu’ils n’ont jamais eue, aura droit à des rampes d’accès. Elles seront en béton qui s’ajoutera aux 600 tonnes devant composer le skatepark qui, lui, est maintenu contre vents et marées. Un vrai massacre doublé d’un scandale.


Aussi le combat que nous avons commencé continue-t-il. A cet effet, nous avons déposé sur le bureau de la Ministre un volumineux dossier où nous pointons, entre autres griefs, l’ahurissant amateurisme dont ont fait preuve les auteurs de ce projet. La municipalité espère obtenir une décision favorable en juillet et aimerait bien commencer ses travaux de requalification à l’automne. C’est sans compter sur notre détermination et celles des Châlonnais. Une nouvelle association, la Société des Amis des Jards, les mobilise actuellement. Elle est bien décidée à faire entendre sa voix, à côté de la nôtre, pour sauver ce patrimoine de verdure. Autant dire que l’été va être chaud. 


Sabine Schepens                  Bruno Malthet

rédactrice en chef                 président de l’association. 



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